Un vent doux léchait les hautes herbes.

Adaouï fixait Zorua.
Zorua Fixait Adaouï.
Chacun examinait l'autre pour la première fois.

Evidemment, Adaouï dominait la bestiole de toute sa hauteur.
Cependant, il était évident que la bestiole dominait Adaouï d'une autre façon.
Leurs regards s'affrontaient.
Celui de Zorua semblait examiner une marchandise, une curiosité tombée du ciel.
Celui d'Adaouï, quant à lui, jugeait. Il jugeait cette créature qui, dans son silence et son sang-froid, concentrait pour lui tout le mystère malsain qu'il y avait derrière le genre pokemon.

Adaouï lui dit quelques mots.
Zorua lui répondit les siens, dans sa langue.
Ils ne se comprirent pas.

Zorua attendait un geste. Un ordre, une caresse, des croquettes, peu importe. Rien ne venait. Elle était tombée sur un drôle de lascar.

Le regard sombre et dur d'Adaouï se détacha du sien, erra sur la route 2. Cette route, il la connaissait bien, car elle menait au chantier naval. De nombreuses bestioles la hantaient, mais il avait appris à les ignorer, à les considérer comme des éléments du décor.

Aujourd'hui, ils seraient des cibles. A l'affût, Adaouï guettait la moindre touffe d'herbe, le moindre buisson. Le prochain qui se pointait ferait l'objet d'un crash-test.

Zorua le regardait toujours. « Ça va être cette ambiance tout le long ? », songeait-elle.



Demande d'apparition d'une bestiole de niveau 5.

Un lapinou.

Ada avait toujours vu les lapinous comme une plaie, une vermine polluant la route. Ces saletés, sous leur apparence attendrissante, se reproduisaient à une vitesse effroyable. Plus jeune, lui et sa bande de voyous s'amusaient à les pourchasser pour s'en servir comme ballons de football. Mais depuis quelques années, Adaouï se contentait de les éviter. « On sait pas où ça traîne ».

Son regard rejoignit celui de Zorua, qui elle, le fixait toujours. Dans l'attente, dans la curiosité.

Adaouï lui demanda si elle aimait les lapinous. Evidemment, elle ne comprit rien.

Il lui demanda si elle ne comprenait rien. Evidemment, elle ne comprit rien non plus.

Tout bascula lorsqu'il lui montra le lapinou du doigt. « Ah ! Là on se comprend ! »

Encore que. Il était question du lapinou, et après quoi ? Qu'est-ce qu'il lui voulait au lapinou ? Voulait-il sa tête, sa peau pour l'hiver, son amitié à tout jamais ? C'était pas flagrant.
Elle continuait de le dévisager, en quête d'instructions supplémentaires, mais Adaouï se contentait d'insister, en lui montrant bêtement la direction du Lapinou avec insistance.

Zorua eut un soupir. « Ça va être compliqué ».

Alors elle s'approcha du lapinou. Celui-ci eut un mouvement de recul.

« Déstresse, j'te veux aucun mal, c'est mon maître qui... »

Le lapinou eut alors un grognement agressif. Le sang de Zorrua ne fit qu'un tour.

« Ça va barder ».


Attaque griffe.

Le grand voyou sortit une cigarette, l'alluma tranquillement. Le pugilat entre Zorua et le lapinou le divertissait; il n'exerçait aucun contrôle sur sa créature. C'était comme regarder deux bêtes sauvages s'affronter. Pas si dur d'être un dresseur, tout compte fait.

Zorua, pourtant, entre deux assauts, le cherchait du regard avec un air de plus en plus affolé, comme si elle y cherchait des réponses. "Je fais quoi? Mais je fais quoi??! Dis-moi quoi faire, s'pèce de maître en carton!!!"

Et Adaouï de lui sourire avec un air satisfait, et de lui faire signe de continuer.

Elle n'en pouvait plus. Résolue à ne compter plus que sur elle-même, elle reconcentra son attention sur le lapinou.
Celui-ci s'était jeté sur sa figure de tout son poids, comme pour l'écraser. Sans rechigner, elle prit sur elle pour oublier la douleur, fit quelques bonds en arrière. Les créatures se tournèrent autour pendant quelques secondes.

Sa célérité lui donnait l'avantage. Ce lapinou voulait la guerre, et elle était bien décidée à lui faire regretter son choix.



Attaque griffe.

Les contusions se multipliaient sous le poids du lapinou, qui profitait de chaque coup de griffe de Zorua pour le cogner.

Elle fatiguait.

"Pourquoi je fais ça, sérieux..."

Son regard se tourna vers son maître.

"Je sais même pas si c'est ça qu'il veut que je fasse..."

Adaouï, clope au bec, lui rendit son regard.

Elle le rejoignit.
Dubitatif, il la laissa s'approcher.
Elle lui miaula dessus.

- Quoi?

Elle miaula à nouveau.

- Me regarde pas comme ça, c'pas encore l'heure d'bouffer, faut finir l'boulot d'abord.

Lassée de ne rien comprendre à ce qu'il disait, elle commença à songer à s'enfuir. "Si ça continue, je vais y rester... faut que j'me tire d'ici".

- OH! T'y retournes où faut que j'te blance dessus? Il se barre là, poursuis-le!

"poursuis". Enfin un mot qu'elle comprenait.

Alors, sans songer davantage, elle repartit à l'assaut du lapinou.

Adaouï se gratta la nuque. Ces bestioles étaient donc bien étranges.


Attaque poursuite.

Et il y eut poursuite.

Le lapinou en voyait de toutes les couleurs. Zorua n'attendait qu'un mot de son maître pour finir le travail.

Cependant, celui-ci s'était emporté dans d'autres réflexions. En voyant son petit renardeau noirâtre bondir dans un sens puis l'autre et agiter ses griffes avec fureur, il se demanda par quel hasard il avait pu lui tomber entre les mains. Sa place n'était-elle pas là, dans la nature?
La réponse était non, bien évidemment. Car si Adaouï n'était pas venu le choisir dans ce labo, un autre petit gosse de riche s'en serait chargé.

Zorua attendait toujours.

- FINISH HIM! Lui envoya-t-il avec feu.

Ne comprenant rien, elle laissa libre cours à son interprétation.

Il n'y avait plus grand chose à faire de toute façon.


Griffe.

Elle écrasa son corps, victorieuse, reprenant son souffle.

Adaouï se surprit à applaudir.

- Bon ben voilà, c'tait pas si dur...

- GRAWW!! lui hurla-t-elle avec hargne pour toute réponse, en montrant les crocs.

Le maître eut un léger mouvement de recul. L'idée que sa bestiole puisse lui en vouloir pour ne pas lui avoir donné d'instructions pendant son combat lui passait à des kilomètres au dessus de la tête.

- Bah, t'es crevée, c'normal après tout. Attends, j'vais te filer un truc à grailler. P'tain, dans quelle poche je l'ai fourré ce demi-twix...

Lorsqu'il lui eût trouvé sa friandise, elle s'en était allée.

Il resta ainsi pendant de longues secondes.

- J'en ai d'jà marre, sérieux.

Il n'eût pourtant pas de mal à la rattraper, car elle s'était rapidement arrêtée dans son escapade. Un nouvel adversaire lui barrait la route. Plus gros, cette fois.



Demande d'apparition d'un bestiau de niveau 7.

Plus gros, et bipède.

Adaouï tira une dernière bouffée sur sa clope, observant attentivement ce qui allait se passer. Zorua ne faisait clairement pas le poids contre cette chose, qui n'avait pourtant pas l'air bien méchante.

Elle hésitait.

- Heu... j'veux pas t'déranger mais j'ai ton twix s'tu veux.

"Rien compris", songea Zorua tout en gardant le bipède rosâtre dans son champ de vision.

Ada attendait qu'elle agisse, mais elle attendait qu'il lui fasse signe. La boucle infinie était de retour.

- Bon, attaque ou attaque pas mais décide-toi là, c'est lourd. Sors-toi les griffes du...

"griffe". Action.


Attaque griffe

Tout bipède qu'il était, le machin rose n'était pas plus évolué que les lapinous en fin de compte. Ce qu'il savait faire semblait se résumer à foncer sur son adversaire avec fougue.

Ceci dit, sa constitution en faisaient une cible plus intéressante qu'un simple lapinou. Il s'agirait d'un combat d'usure, que Zorua avait bien l'intention de remporter. Elle partait avec un atout majeur: son agilité.

En réalisant tout cela, Adaouï se sentit le plus expert du monde. "La force ne fait pas tout, la branche d'arbre doit être souple, bla bla bla, kung fu ...". Tout ce baratin était largement à sa portée.

Il s'agissait maintenant de donner des instructions.

- Shoot! commanda-t-il, en s'allumant une nouvelle clope.

Elle ne connaissait pas ce mot, mais décréta qu'à partir de ce moment il signifierait "griffe".


Attaque griffe.

Paf dans le pif.
Zorua saignottait du nez. Ce bipède était décidemment costaud pour sa taille. Sa fougue et sa pugnacité en faisaient un redoutable second adversaire.

Son cas avait attiré l'attention d'Adaouï. Ce truc savait se battre, il avait de bons appuis et une vélocité intéressante, bien que n'égalant pas celle de Zorua.

Un dresseur classique aurait songé à l'attraper. Or, Adaouï était un garçon de la rue; aussi, son seul désir en cet instant était de rappeler Zorua dans sa pokeball pour se battre lui-même contre le bipède violâtre.

Zorua ne l'entendait pas ainsi, malgré les contusions qui se multipliaient.


Attaque griffe.

- Shoot! Shoot shoot shoot!

Un langage naissait malgré lui. Bien qu'il ne témoignât pas d'une connexion très étroite entre l'animal et son dresseur, il avait au moins le mérite de montrer qu'un semblant de communication était envisageable entre eux.

Ceci dit, là où "shoot" pouvait signifier "griffe", "shoot shoot shoot" signifiait "griffe griffe griffe", ce qui était encore un peu au delà du spectre de compétence de Zorua. L'envie ne lui manquait pas, mais le bipède violâtre était d'une agilité redoutable, si bien qu'il était impossible de lui asséner plus d'un coup à la fois.

Adaouï attaqua sa troisième clope. Son attention se détourna du combat juste au moment où la bête noire allait atteindre sa cible.


Attaque griffe

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